Mon expérience d’autrice dyslexique

L’article du jour sera à la fois un article coup de gueule et une manière d’expliquer les choses. Je précise qu’il n’est ici question que de mon avis et parcours, que ce n’est pas en aucun cas une généralité – encore heureux !

Récemment, je suis tombée sur un post sur les réseaux sociaux qui disaient en substance que certains auteurs et autrices font semblant de se dire dyslexique pour se faire « remarquer ». Ce serait une manière de se dédouaner de faire des fautes et d’attirer l’attention. Ce post était particulièrement haineux et validiste. La personne accusait les auteurs dys de s’autodiagnostiquer et de le faire pour éviter les railleries et par égo.

Je l’ai pris pour moi ! Je vais vous dire pourquoi :

J’avais 7 ans et demi lorsque l’on m’a diagnostiqué dyslexique et dysorthographique (On va dire juste dyslexique parce que j’ai l’impression que les deux sont liés chez moi et que le mot orthographe est un calvaire à écrire pour moi). Disons-le tout de suite dans les années 90, la dyslexique n’était pas « à la mode ». C’était honteux, caché, personne n’en parlait et très peu d’enseignants savaient de quoi il s’agissait. (Je parle de mon expérience qui est très modeste donc je peux me tromper) Quand je dis à la mode, ce n’est pas péjoratif, mais c’est pour reprendre l’idée du post en question et montrer que je n’ai pas été « autodiagnostiqué » ou que l’on a mit ce diagnostique à la légère. J’hésite à dire tabou, car réellement personne n’en parlait. En primaire, une seule de mes camarades de classe était dyslexique, personne à ma connaissance au collège et au lycée. Personne n’avait d’AVS à l’époque et on se débrouillait tout seul – en tout cas dans mon école.

Donc tous les mercredis, je passais du temps chez l’orthophoniste (ils auraient pas pu trouver un mot plus facile ?!) pour…je dirais pour apprendre à écrire, lire et pour la graphie aussi. J’écrivais très mal, pas qu’en faisant des fautes, mais ma graphie était vraiment terrible ! Je me rappelle, il y avait de superbes stylos et j’aimais beaucoup m’en servir parce que mes parents ne m’en auraient jamais acheté des comme ça…La spécialiste m’a interdit de m’en servir parce que j’écrivais trop mal : Merci à elle pour le trauma, la honte et la culpabilité. Bref, j’ai passé des années là-bas, à devoir y aller même quand tout ce que je voulais c’était resté à la maison pour profiter de ma maman qui travaillait beaucoup (on était loin des 35h/s ma mère bossait 41h/s). Il n’y avait pas de vacances, sauf l’été. C’était un enfer. Je détestais.

Et puis, à un moment, après des années, j’ai décidé de faire ce que je pouvais faire de mieux pour ne plus y foutre les pieds ! J‘ai repris toutes mes fiches d’exercices, vraiment toutes et j’ai tout appris par coeur, comme une tarée ! Tous les mots, toutes les phrases, toutes les situations. Je me rappelle des mots comme bougie ou serpent ou bébé ou poupée. Il y avait des dessins et il fallait écrit les mots dessous. Je me suis forcée à apprendre les mots un par un, pendant des heures, non pas pour comprendre la différence entre bougie et boudie (parce qu’en vrai j’en sais toujours foutrement rien, j’entends pas la différence à l’oreille) mais parce que les gens étaient contents quand j’écrivais bougie et que j’avais une croix verte (ou je ne suis plus quoi mais une marque comme quoi c’était valide). J’ai associé une forme d’écriture à une récompense. Le cerveau humain et son foutu système de récompense !

Si bien qu’un jour, l’orthophoniste a décrété que c’était assez, qu’on ne pouvait pas m’en faire apprendre plus (je dis ça avec mes mots, mais vraiment je détestais cette bonne femme et ses séances, alors qu’elle était hyper gentille et patiente). En vrai, il s’agit de compensation. Sauf que voilà, c’est bien facile de compenser avec des mots tout fait comme serpent (que j’écrivais serpend) ou poupée (que j’écrivais boubé ou poubai ou boupait selon mes humeurs) mais ça l’est moins avec les règles d’orthographe et de grammaire, parce que ça c’est très difficile.

Avec le temps, j’ai appris à différencier (je crois) sait, ses, c’est et s’est, mais pour d’autres mots c’est plus hardu. Parfois, je me trompe et je le sais, parfois non. En lisant beaucoup de livre du 19eme siècle, j’ai appris du vocabulaire et ça m’a aidé, me demandais pas pourquoi ni comment. Je lisais un mot, ne le comprenait pas, je trouvais sa définition dans le dictionnaire et voilà, cela m’aider.

J’ai énormément compensé et travaillé sur moi, si bien que cela m’est arrivé plusieurs fois d’entendre des enseignants ou des adultes (quand j’étais enfant) dire :  » On ne dirait pas que tu es dyslexique ». J’avais toujours envie de répondre « on ne dirait pas que tu es con, mais pourtant… ».

J’ai l’air de dire que c’est facile, mais pas du tout. Et encore si vous m’entendiez à l’oral, quand je suis fatiguée, je bute sur les mots, j’ai dû mal à les prononcer. Il n’est pas rare que l’on me reprenne sur une prononciation parce que mon cerveau bug. Lorsque je fais une conférence ou autre, je suis obligée de visualiser chaque mot dans ma tête pour savoir comment ils s’écrivent pour pouvoir les prononcer. Je ne sais pas si c’est le cas pour chaque dyslexique, j’imagine que non, mais lorsque je dois parler et dire un mot « difficile », je revois mes petites images de quand j’avais 9 ans et que j’étais chez l’orthophoniste. Poupée : je revois le dessin d’une poupée de chiffon avec ses cheveux ficelle et sa robe bleue à l’ancienne et je vois les syllabes Pou-pée. Alors oui, ça peut paraître marrant mais aller faire ça pendant une conférence de 1h30 à découper chaque foutu mots dans votre tête, la peur au ventre d’être ridicule et de vous tromper.

Quand les mots sont trop complexes ou que je n’arrive pas à les écrire vous savez ce que je fais ? Je reformule. Championne du monde de la périphrase et des phrases à rallonges parce que les mots plus courts sont trop difficiles. Il est très rare que je conjugue le verbe asseoir par exemple – vérifier dans mes romans -parce que je ne sais pas l’écrire sous ses formes conjuguait. C’est la même chose à l’oral, je n’arrive pas à visualiser la forme écrite donc je ne sais pas la prononcer. Alors j’utilise des stratagèmes. Je reformule, je gruge, je triche, je fais genre. Croyez-moi j’aimerais bien savoir écrire ce verbe (et tant d’autres) mais je n’y arrive pas. J’ai beau regardé dans un Bescherelle pas moyen de le recopier correctement ou d’apprendre à le dire, le retenir. Et si vous pensez que c’est facile de passer son temps à reformuler, je vous invite à le faire pendant une journée et de remettre en question au moins la moitié des phrases que vous pensez prononcer, juste comme ça, pour le fun.

Donc oui, il y a bien longtemps que l’on m’accuse de ne pas être « assez dyslexique », de ne pas faire « assez de fautes » tout en m’accusant de faire des fautes d’orthographe et de grammaire, parce que sinon c’est pas drôle. Parfois il m’arrive d’oublier des mots, d’écrire une phrase en voulant en écrire une autre, mais les gens mettent ça sur le compte de la fatigue, de l’inattention ou de la nullité. Après tout, tout le monde fait des fautes et c’est normal, surtout lorsque l’on écrit rapidement ou que l’on ne se relit pas. Sauf que ce truc de ne pas être « assez dys », ça m’a bien embêté dans ma vie. Je n’ai jamais demandé de 1/3 temps parce que j’avais honte. Par honte d’être dyslexique, mais aussi par honte de ne pas l’être assez, alors j’ai compensé encore plus ! J’ai fais des efforts encore plus grands, encore plus fatiguant. Souvent j’écris Pas ou lieu de par, par exemple. Je vais écrire Lui à la place de lieu. Plein de petits mots comme ça qui vont être différents et qu’on peut considérer comme étant des inattentions, sauf que pas du tout.

Encore, il ne s’agit là que de l’écriture et de la parole, pour ce qui est de la lecture c’est fastidieux. Les lettres se mélangent, les mots se découpent mal et avec la fatigue, les lignes même finissent par se rassembler. Lire est épuisant, je ne vous parle même pas de corriger mes propres textes. Relire mes propres fautes est compliqué. Durant très longtemps, je ne relise même pas ce que j’écrivais. On me traitait de fainéante ou d’irrespectueuse. Bah oui, c’est irrespectueux de laisser un texte avec des fautes. Sauf que déjà vu les efforts qu’il faut déployer pour écrire, à la fin d’un examen ou autre, franchement personne n’a envie de faire cette gymnastique mentale en plus. Plus de fatigue rend encore plus difficile de lire sans que tout ne se mélange, donc c’est encore plus de fatigue qui s’ajoute pour corriger/voir des erreurs que l’on commet soi-même. La honte ! Toujours la honte ! Honte d’être fainéante au point de ne pas vouloir mes propres écrits parce que c’était trop fatiguant. La honte d’écrire et de faire des fautes. La honte de dire que je voulais être écrivain alors que « t’es nulle en orthographe » « t’es nulle en grammaire », « t’es pas foutue de savoir écrire ». La honte quand on te dit que tu fais semblant d’être dyslexique pour qu’on te donne des points en plus à l’école. Bref, toujours cette fichue honte et culpabilité. Pas assez ceci, trop cela, jamais comme il faut. A certains moments, je regrettais d’avoir fait toute cette compensation parce qu’elle m’a desservi plus qu’autre chose. Vous imaginez faire des efforts de dingues pour avoir l’air comme les autres mais que ça ne soit pas assez et qu’on vous accuse de faire semblant du coup ?

Alors oui, lire qu’une personne se permet de juger qu’être dyslexique c’est une façon d’attirer l’attention et de sortir du lot en tant qu’auteur et que c’est s’attribuer une maladie que l’on n’a pas, qu’il suffit d’utiliser un Bescherelle et d’aller consulter un psy. C’est aberrant ! Et très frustrant. Cela ne sert jamais à rien ! Je vous jure jamais ! On ne s’attire pas de sympathie parce qu’on est dyslexique.

Le « t’as pas l’air assez ceci », « t’as pas l’air assez cela », « tu ressembles pas aux autres » etc. C’est stigmatisant. Pour le coup, la dyslexie peut très bien se cacher pour quelqu’un qui a énormément compensé ou pour une personne qui verra ses publications relues par d’autres personnes ou qui fait corriger son roman par un ou une correctrice (vous savez ces gens dont c’est le boulot). Bref, il ne faut pas remettre en doute les dires d’une personne juste parce qu’elle ne correspond à ce que vous imaginez savoir.

Et pourtant, bien sûr que c’est normal de faire des efforts pour avoir un discours clair et qui permet d’être compris par le plus grand nombre. C’est naturel de faire des efforts. Tout comme il est normal quand on parle une langue étrangère de faire des efforts pour se faire comprendre. Il s’agit de faire les efforts que l’on peut faire et de se booster aussi soi-même. Si j’écrivais toujours comme je le faisais à 7 ans, je vous assure que j’aurais lâché l’écriture depuis longtemps, mais j’ai fais tous les efforts que je pouvais. Ces efforts au quotidien m’épuisent. Souvent, je dis que j’écris vite (en tout cas, je tape rapidement mes premiers jets) alors on pourrait se dire que je ne suis pas dyslexique parce que « c’est trop dur d’écrire ». Sauf que vous n’avez jamais vu l’état de mes premiers jets (et heureusement d’ailleurs !).

Ouije pouré ecrir conne sa barque sait pluss comne ca qe lé gens imajinen qu’i fo que je crive, sof que nnon jaicri par deux cetman air. (Oui, je pourrais écrire comme ça parce que c’est plus comme ça que les gens s’imaginent qu’il faut que j’écrive sauf que non, je n’écris pas de cette manière). Je n’ai ni envie de me remettre à écrire comme je le faisais au début juste pour prouver à des gens que je suis bien dyslexique. C’est sûr que ça serait moins fatiguant pour moi d’écrire en ne faisant aucun effort intellectuel, mais je pense que pour vous c’est un petit plus difficile.

Si vraiment il existe des auteurs ou autrices qui se disent dys et qui ne le sont pas, vous savez quoi ? On s’en moque. Ce n’est pas un concours. Si quelqu’un fait semblant ça ne va pas me rendre l’écriture plus facile ou plus difficile. Je ne vais pas mieux lire. Cela ne va pas me rendre plus intéressante pour autant ou moins d’ailleurs.

Si je parle de ma dyslexie maintenant, c’este parce que j’ai passé 20 ans à la cacher et à faire comme si parce que « t’as pas l’air dyslexique », donc je ne pouvais pas le dire que je l’étais parce qu’on m’accusait de mentir. Le comble ! C’est encore d’une certaine manière ce que cette publication m’accuse de faire ! Merci pour la double peine, j’avais vraiment besoin de ça ! J’ai passé 20 ans à m’écraser j’estime que j’ai le droit de dire que je suis dyslexique et ça n’a jamais été à vocation de me faire plaindre (pour ça je pourrais vous raconter mes 4 à 7 migraines par semaine ça marcherait mieux) ou à me rendre intéressante. Ce n’est pas non plus une excuse pour dire « je fais des fautes », c’est pour ne plus avoir honte de qui je suis, plus avoir honte des efforts que j’ai dû faire (et que je fais encore), pour dire que c’est possible d’écrire et d’être dyslexique.

Alors même si quelques auteurs dans le monde mentent franchement qu’est-ce que ça va changer pour moi ? Rien. Peut-être que pour les autres ça change quelque chose, j’en sais rien. En revanche, lire encore un message de validiste comme quoi il s’agit d’une manière d’attirer l’attention… Je vais rester polie donc il n’y aura pas de fin de cette phrase. Non, mais sérieux, j’aurais alors programmé en 1997 d’être dyslexique, de me faire diagnostiquer, de me taper des années d’ortho, alors même que l’on ignorait qu’un jour il existerait des réseaux sociaux, tout ça pour attirer l’attention ? Mais punaise, dans ce cas, je suis sacrément patiente – spoil alert : Absolument pas – et ma vision à long terme est vachement efficace. Dire que je ne sais même pas ce que je vais manger demain matin mais j’aurais été capable de monter un plan juste pour ça… Bon et bien si seulement je pouvais avoir prévu de m’enrichir grâce à ce stratagème ça aurait été que mieux. Je n’ai pas plus d’abonnés parce que je suis dys, pas plus de lecteurs parce que je suis dys, pas plus de gens qui me plaignent parce que je suis dys. Donc non, ça marche pas !

Vous savez ce que ça me rappelle cette idée de « remettre en doute la parole des gens » ? Aux victimes de viols et d’agressions ou aux personnes handicapées. Alors oui, c’est un parallèle malheureux et j’ai bien conscience que ce n’est pas la même souffrance, pourtant c’est la même idée dans le fond : quelqu’un dit quelque chose et tout de suite c’est remis en doute parce qu’il ou elle ne correspond pas à l’image populaire de ce que l’on se fait de ce qu’il dit. Sauf que dans la vraie vie, les choses ne sont pas comme on peut l’imaginer. Il n’y a pas qu’une seule bonne façon d’etre dyslexique. Il y a autant de dyslexie que de dyslexique. Tout comme il n’y a pas qu’un seul handicap ou qu’une seule manière de réagir à un traumatisme. On est en 2022 bordel! Il serait tant d’accepter que la parole des gens est valide et crédible. Arrêtons de minimiser la douleur des gens parce qu’ils ne correspondent pas à l’image qu’ils devraient renvoyer!

Bien entendu, l’on peut faire des fautes sans être dyslexique et être dyslexique sans faire de fautes (correcteur orthographique, correcteur, relecteur, bonne compensation, choix des mots et des phrases…), mais ce n’est pas à Gens Random Connard (gens/Jean petite blague surtout à des fins d’englober tout le monde) de décréter que telle ou telle personne a le droit ou la légitimité d’être dyslexique. Je respecte que certaines personnes puissent penser que d’autres font semblant d’avoir une maladie ou autre, mais entre le penser et afficher sa haine sur les réseaux sociaux c’est différent. C’est juste un stigmate de cette société a toujours remettre en doute la parole d’autrui et c’est lassant. Attention, parfois c’est bien de remettre en question la parole des gens. Tout ne doit pas être pris pour argent comptant dans la vie, mais il y a des situations cela n’a pas a être le cas.

Quoi qu’il en soit, dire à une personne d’aller bouffer un Bescherelle n’est ni productif, ni efficace. J’ai essayé (au sens figuré tout du moins) ça ne fonctionne pas. Qu’une personne soit dyslexique ou non, ça n’a pas d’intérêt de la critiquer. Pour finir, je dirais : si vous n’êtes pas un professionnel capable de poser un diagnostique en ayant connaissance du passif d’une personne, vous n’êtes pas en mesure de dire si elle est dys ou pas.

Et vous ?

Est-ce que vous partagez l’avis qu’être dys c’est juste une façon de faire parler de soi ?

L’êtes-vous vous-même ? Quelles sont vos difficultés ?

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Une réflexion sur “Mon expérience d’autrice dyslexique

  1. Elisa dit :

    La dyslexie est présente dans ma famille depuis plusieurs générations, sous des formes et à des degrés divers. J’ai longtemps regretté de ne pas avoir mieux aidé mes proches mais comme tu le dis, c’était mal connu. Ceux qui pensent qu’il s’agit d’un privilège ou d’un mensonge sont probablement les mêmes que ceux qui se garent sur une place réservée aux handicapés… PS : ta verve compense toutes les dys… du monde !

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